Très chers,
J’ai été à Beyrouth le 6 Août, 2 jours après la “catastrophe”. J’ai aidé mes cousines qui ont eu des dégâts graves dans leurs maison, magasin et bureaux… J’ai ensuite fait un tour en ville à pieds… À Gemmayze et à Mar Mikhael, cœur vibrant de la ville, où cent fois j’ai retrouvé quelqu’un pour un verre, cent fois travaillé dans un café, cent fois été pour une réunion politique, cent fois échappé à une manifestation violente. Où j’ai vécu avec certains d’entre vous à la maison du Mouvement Gen. J’ai marché dans Sursock, très beau quartier caché entre les arbres. À Beyrouth, pas une maison, pas un immeuble, pas un magasin n’a été épargné… Les dégâts matériels sont ceux produits par une bombe “semi-nucléaire”… J’ai inventé ce concept pour pouvoir expliquer…. Beyrouth a connu des milliers de déflagrations, bombardements, explosions, mais jamais une chose pareille. En 30 secondes toute la ville a été touchée. C’est notre Hiroshima disent certains… C’est peut-être exagéré, mais il nous semble que ce soit ainsi.
Beyrouth est sans vitres. Il n’y en a plus une en place. Des tonnes de vitres dans les rues. Le son du verre balayé est très particulier et raisonne dans les maisons voisines et dans toute la ville.
Beyrouth a perdu nombreuses de ses maisons libanaises traditionnelles. Encore une partie de son patrimoine qui avait réussi à survivre la guerre civile, et les entrepreneurs des Seigneurs de guerre convertis en politiciens.
J’ai travaillé 6 heures pour enlever le verre et les décombres d’une maison. D’une cuisine en fait, jadis espace de rencontres familiales, espace de travail en attendant la réunion dans le café d’à côté, de préparation de bannières pour les manifestations. J’ai enlevé des décombres tombés dans des bocaux de pâtes et de lentilles…
Je n’arrive pas à réaliser ce qui s’étend devant mes yeux. L’échelle de la destruction. Cependant, Beyrouth est complètement abandonnée. Il n’y a pas une personne en uniforme qui ramasse les décombres, ou qui garantit la sécurité des personnes qui travaillent, qui examine l’état des immeubles, s’ils sont sûrs ou sur le point de tomber. Beyrouth est complètement abandonnée à l’extraordinaire réseau de la société civile qui fait tout, pense à tout, coordonne tout. Mais ce n’est pas normal, nous sommes des champions de résilience. Mais ce n’est pas normal. Notre génie individuel ne réussit pas à se concrétiser en un projet d’État. Notre intelligence collective est sans doute très fragile. Nous sommes surtout des identités fragmentées. Et nous avons besoin d’un État. La faillite économique nous l’a mis devant les yeux. Clairement. Et maintenant ceci…. Communautés religieuses-entités politiques tribales. Système périmé.
Je suis contente d’avoir vu ma Beyrouth, de n’avoir pas attendu plus longtemps pour la voir… blessée comme jamais. Mais toujours aussi belle. Je suis contente de m’être sentie utile.
Je retourne à la maison, j’embrasse mon fils. Mon esprit est absent, mais je lui donne le bain, raconte l’histoire que nous avons inventée ensemble de M. le Merle, et puis je l’endors.
Et commence la prise de conscience. La Beyrouth que j’ai connue n’est plus. Elle était déjà en train de se transformer profondément sous le coup de la faillite économique, mais désormais ses blessures cachées sont visibles. Et je pleure, et je suis au plus bas… Et puis je réussis à me lever du lit pour préparer des articles et du matériel de communication pour ma ville.
Je vous embrasse, de Beyrouth Sit’ el Dunia.
Myriam Mehanna*
*Myriam Mehanna, PhD in Private Law, Lawyer and legal researcher
Photo Courtesy: Myriam Mehanna
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